…en juillet 1965 !
La célèbre revue de vulgarisation scientifique avait faite de l’Hypnose sa “Une” pour le numéro estival, avec un long article de 16 pages (quelque chose qui ne se fait plus à notre époque) et un invité prestigieux : Milton Erickson, lui-même, interviewé lors de son passage en France pour un congrès international.
Voici pour vous le PDF de cet article (clic gauche pour lire en ligne ou clic droit, puis “Enregistrer” pour sauvegarder) et son résumé :
“L’Hypnose vient de faire officiellement sa réapparition dans la médecine française. A la fin du siècle dernier, Paris était la capitale de l’hypnotisme. Mais, depuis plus de cinquante ans, tant que les recherches se poursuivaient dans le monde entier, chez nous c’était le silence.
Pour la première fois au cours de ce siècle, un “Congrès International d’Hypnose et de Médecine Psychosomatique” s’est tenu à Paris, du 28 au 30 avril 1965. Il était placé sous la présidence d’honneur du Ministre de la Santé Publique, 500 spécialistes (médecins, psychiatres, anesthésiologistes, chirurgiens, physiologistes) représentant 28 pays, y participaient.”
Milton Erickson y était présent, sans doute pour la première fois en France, en tant que “vedette du congrès”. Le journaliste raconte que sa “communication, ce matin-là, avait déclenché une ovation dans la grande salle” où il n’y avait eu jusque-là “que le maigre crépitement d’applaudissements académiques” ! Et qu’Erickson était “un personnage étonnant,venu de phoenix, dans l’Arizona, pour galvaniser ses confrères hypnotistes du monde entier réunis à Paris.”
Le journaliste explique qu’il avait tenté de demandé à Erickson “son avis sur le mécanisme fondamental de ce pouvoir étrange de l’homme sur l’homme.” et qu’Erickson l’avait “écouté avec une bonne volonté que rarement les spécialistes accordent au questionneur… Un sourire… Puis, il avait passé outre à ma question.
– I’ll tell you a story.”
C’est alors qu’il avait commencé le récit, avec la verve qu’on lui connait, du terrible cas de “La Hurleuse”, une femme atteinte ici d’un cancer du sein droit qui avait gagné les poumons et le bassin d’un cancer des os en phase terminal, à qui il avait fait une anesthésie, d’une manière aussi peu orthodoxe que l’on peut s’attendre d’Erickson !
“Je vais vous faire mal… dit Erickson.
– Pourquoi voulez-vous me faire mal ?
– Je veux vous aider.
La patiente reprit sa plainte. Je recommençai mes menaces.
Elle céda plus vite cette fois.
– Comment allez-vous m’aider ?
Je ne répondis pas. Elle était couchée sur le côté droit, toute recroquevillée. Elle se mit à psalmodier :
– Ne me retournez pas… Ne me retournez pas.
Et moi :
– je vais vous retourner ! Je vais vous retourner !”
Erickson finit par mettre la patiente en transe hypnotique. “Elle se sentait réellement sur son côté gauche, face au mur. Elle ne me voyait plus. Il m’avait fallu une heure et demie pour induire ainsi cette désorientation totale. Comme je voulais qu’elle me voie pour la suite de la séance, je lui suggérai “qu’elle s’était de nouveau retournée sur le flanc droit”. J’y mis une heure. Elle s’enfonça encore plus profondément dans la transe.”
Erickson commence alors un dialogue avec la patiente, sur sa douleur, son opération, son espoir, ses déceptions de plus en plus lourdes…
Puis Erickson lui demanda de façon répété que la patiente lui rende un service :
“il faut que vous ressentiez une douleur terrible, terrible, à votre pied droit… Vous n’aimerez pas cela… Vous préféreriez que votre talon vous démange… Mais il faut que vous ayez une douleur terrible au talon droit.”
La patiente demanda alors à Erickson de l’excuser, car “elle n’avait pas pu ressentir cette douleur au talon droit, mais seulement une démangeaison.”
Erickson suggéra alors à la patiente de transformer cette démangeaison en engourdissement, puis de faire “monter l’engourdissement jusqu’à la cheville, le long de la jambe, de la cuisse, jusqu’à la hanche, puis dans l’autre jambe.” Erickson conclut en disant qu'”à ce moment, j’avais endormi tout le corps, de la taille aux pieds. Plus de douleur dans tout ce territoire conquis à la suggestion d’un engourdissement total.”
Le récit du cas de prolonge avec les détails sur la manière qu’utilisa Erickson pour faire manger la patiente (bien trop maigre) : il utilisa le fait qu’elle était très pieuse pour parler “d’enfer et damnation” (et autres blasphèmes) si elle ne mangeait pas un bifteck pour la dernière fois ! La patiente finit par admettre qu’elle pourrait manger un bifteck, pour faire cesser les blasphèmes d’Erickson.
Erickson finit ensuite le récit de son cas avec la description de la “démangeaison comme celle d’une piqûre de moustique. Pas une sensation pénible, pas une sensation qui fait peur, mais simplement une sensation un peu désagréable” qu’il avait placé au niveau de la poitrine de la personne, en rappel de son intervention, afin de consolider et maintenir (d’après Erickson) l’anesthésie hypnotique qu’il avait créé pour elle.
“Je terminai cette longue séance, qui dura quatre heures à peu près, en lui suggérant qu’à son réveil, elle conserverait tous les souvenirs agréables de cette visite, tous ceux qu’elle désirait conserver. Je soulignai que ces souvenirs devaient comprendre la disparition de la douleur, la relation personnelle entre nous, mais que mes blasphèmes devaient être oubliés. Je lui dis également de se rappeler que je lui avais fait mes excuses pour la piqûre de moustique.”
Erickson raconte que la patiente avait environ deux mois de survie (estimés par son médecin), mais qu’elle survécu presque cinq mois suite à sa longue séance et à quelles autres courtes visites de rappel. Qu’elle avait pu faire une dernière fois le tour de sa maison et qu’elle mourut paisiblement en perdant conscience, “sans avoir souffert un seul instant depuis la séance, sinon d’un piqûre de moustique rebelle…”
Le journaliste explique qu’il n’avait pas réussi à interrompre Erickson pour se faire expliquer la séance, le pourquoi de son attitude brutale. Mais il conclut de lui-même que “bien des secrets de l’hypnose, et aussi de la psychiatrie” devaient être contenus dans le récit d’Erickson.
C’est ainsi que ce dernier bâtit sa réputation : avec des récits de cas extraordinaires mais pratiquement impossibles à reproduire, et sans jamais donner d’explication concrète sur ce qu’il faisait, mais en montrant que l’on pouvait être libre et créatif avec les personnes que l’on devait aider.
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Le journaliste partit donc à la découverte des autres praticiens et se fit hypnotiser par un spécialiste français présent au congrès, afin de mieux décrire ses impressions personnelles (ce que les journaliste actuels pourraient prendre en exemple !)…
James Braid, fondateur de l’Hypnose (1841)
Beaucoup de spécialistes différents sont nommés et interrogés dans cet article. L’auteur décrit aussi les méthodes (de l’époque) pour créer l’hypnose (les différentes inductions) et les “réactions” grâce auxquelles on reconnait que la personne est bien hypnotisée.
L’article parle ensuite du fait d’être “hypnotisable ou non” (l’époque était encore aux “échelle d’hypnotisabilité”) et décrit les traits qui permettent de reconnaître une personne qui entrera plus facilement en hypnose, ainsi que les signes à quoi on reconnaitra une personne “résistante”…
A la suite de cela, le journaliste raconte un film, diffusé pendant le Congrès, et qui montrait une anesthésie réalisée pour un accouchement. Le pratique (le prof Kroger) y avait “réveillé” (façon de parler, explique le journaliste, puisqu’il ne s’agit pas de sommeil) la patiente en plein accouchement, et on avait vu son visage se crisper brusquement de douleur… avant que le médecin ne réinduise l’anesthésie hypnotique : preuve flagrante de la réalité du phénomène !
Le film montre ensuite une opération de la thyroïde, également réalisée sous anesthésie hypnotique.
L’article discute ensuite de la psychosomatique, de la différence entre “supprimer un symptôme, sans en retirer la cause” et “soigner la personne” (donc traiter la cause). Sydney Rosen, proche d’Erickson, insistera alors sur le fait qu’un hypnothérapeute doivent bien connaître la psychologie et la psychopathologie afin de pratiquer de manière sérieuse et sécure pour ses patients. Il pointe également l’importance de l’anamnèse et la nécessité, parfois, de renvoyer la personne auprès de son médecin, pour vérifier qu’un trouble ne soit pas de cause physique. Toutes choses sur lesquelles on insiste à longueur d’année en formation…
Le Dr Hartland fera une démonstration d’hypnose utilisée en psychothérapie, selon les méthodes de l’époque :
“Le docteur Hartland emploie une technique d’induction classique : “Mettez-vous bien à l’aise, détendez-vous, respirez paisiblement… Dormez…” Il obtient une relaxation complète “pieds, chevilles, ventre, épaules, bras…” puis consolide la transe par la respiration et des comptages.
Ensuite, pendant 8 à 10 minutes, il suggère la fortification du “moi”. La séance se termine par la suggestion directe de suppression des symptômes et le réveil. La technique de fortification du moi utilise toutes les possibilités du rythme de la parole, des répétitions, du relief sonore. Les suggestions elles-mêmes font penser à celles de la jadis célèbre méthode Coué : “Chaque jour, vous deviendrez plus fort, plus sain… Vous deviendrez beaucoup moins facilement fatigué, beaucoup moins déprimé… Chaque jour, vous deviendrez beaucoup plus alerte, chaque jour vous deviendrez de plus en plus profondément intéressé à votre travail…”
Un dosage adéquat des différentes suggestions, l’insistance sur les thèmes positifs, “chaque jour”, “de plus en plus”, etc. tout cela rend de très gros services, même (dit le docteur Hartland) dans des situations analytiques.”
Vous noterez la différence entre cette manière de pratiquer l’hypnose et l’exemple donné par Erickson en début d’article !!! Il y eut une sorte de révolution lorsque les thérapeutes commencèrent à créer du sur-mesure pour leurs patients, même si les cas d’Erickson n’étaient pas reproductibles (et certains largement “améliorés” pour les besoins de la démonstration pédagogique)…
Pour autant, on était encore à l’époque du “thérapeute qui agit sur le patient”, très loin de la future Nouvelle Hypnose.
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L’article continue donc sur un court passage à propos de l’auto-hypnose, abordée par un spécialiste anglais, puis reprend sur le sujet de la psychosomatique, notamment sur des cas de sexologie, puis d’alcoolisme et d’obésité.
Le journaliste commente : “Pratiquement, il m’a paru que les Américains, toujours portés au pragmatisme, s’étaient avancés le plus dans la voie de la psychothérapie par l’hypnose, ou tout au mois qu’ils étaient ceux qui actuellement s’en servaient le plus volontiers.
A côté d’eux, Russes, Japonais, Anglais, Scandinaves explorent activement ce domaine. Il n’y a guère que la France qui, jusqu’à ce congrès, semble s’en être désintéressée presque totalement. Il y a à cela des raisons historiques bien françaises : querelles d’écoles et d’idées capables de masquer et d’étouffer une réalité pourtant passionnante.
Le docteur Léon Chertok, de Paris, un de nos rares spécialistes de l’hypnose, a retracé son histoire dans la communication d’ouverture du congrès. En un mot, c’est parce que nos savants ont été incapables, de Mesmer à nos jours, de définir la nature du phénomène hypnotique, qu’ils ont cru devoir le négliger ou même le réfuter.
Avec ce congrès, cependant, où les praticiens français ont eu l’occasion de rencontrer leurs confrères étrangers, semble se dégager une attitude plus réaliste : en attentant d’éclaircir les problèmes fondamentaux de l’hypnose, on peut étudier avec profit son maniement et ses possibilités.”
Eh bien voilà ! 🙂
Le journaliste aborde ensuite l’hypnose de music-hall, pour expliquer la mauvaise image de l’Hypnose auprès du grand public : “de là à penser qu’un hypnotiseur habile puisse forcer les gens à lui obéir dans la vie courante, en dehors de la scène, il n’y a qu’un pas.” Il cite quelques hypothèses de manipulations possibles en hypnose, plus ou moins graves, avec ce qu’il devrait être possible d’y faire pour y remédier… Bien sûr, c’est là que réapparait l’ancestrale supplique de certains de réglementer l’enseignement et la pratique de l’hypnotisme par des lois internationales. Ce à quoi l’auteur de l’article réplique intelligemment que l’Hypnose ne doit pas être “cadenassée” au prétexte qu’elle pourrait être “dangereuse entre des mains criminelles“, mais au contraire que “son enseignement doit être répandu”, “les moyens trouvés de faciliter son emploi et de la généraliser, en serait-ce qu’à cause de son extraordinaire action sur la douleur”.
Et de préciser à juste titre “que cette technique, pour être appliquée avec le maximum de succès, demande non seulement des connaissances approfondies, mais encore une grande intelligence des hommes”.
En formation, pour illustrer cette idée, j’utilise la métaphore d’un couteau qui s’aiguise avec le savoir-faire de la personne : un débutant ou un maladroit n’aura qu’un couteau pour enfant, à bout rond et sans aucun tranchant (donc inoffensif) et il faut bien connaître la psychologie et le maniement de l’hypnose pour réussir à avoir un couteau bien tranchant (donc des techniques efficaces). Sachant que toutes les techniques hypnotiques ont été conçues par des thérapeutes pour faire du bien, une personne malfaisante devrait, pour faire du mal avec l’hypnose et en plus de savoir correctement s’en servir (donc bien connaître la psyché humaine, au sens positif) faire ensuite l’effort d’inverser toutes les techniques, pour les rendre négatives, malfaisantes au lieu de bénéfiques.
Il est fort peu probable que de telles personnes existent. Si quelqu’un souhaite faire le mal, il y a des moyens bien plus rapides et plus faciles que de passer des années à apprendre à soigner son prochain, pour ensuite décortiquer toutes les techniques, les inverser et inventer des protocoles “négatifs”…
Le journaliste conclut son article avec une histoire d’Erickson, afin de boucler sur les “nouvelles manières de pratiquer en thérapie”. Erickson raconte le cas d’une jeune femme qui avait perdu l’usage de la parole suite à un accident de voiture. Après avoir étudié son dossier, Erickson demanda au mari de lui confier sa femme “pendant un certain temps, avec la personne qui s’est occupée d’elle jusqu’ici. Il faut que cette personne accepte et promette d’appliquer à la lettre toutes les instructions que je lui donnerai.”
Vous reconnaissez-là le début d’une thérapie stratégique par prescription de tâche, pratique très courante chez Erickson (39,5% de ses cas) bien que sans hypnose.
Erickson raconte comment il mit en place “un véritable système de torture mentale, poursuivit implacablement jour après jour”, afin de provoquer chez la patiente “une réaction de colère suffisamment violente pour faire une brêche dans la barrière du silence.”
Pour se faire, Erickson demanda à la garde-malade d’annoncer à la patiente qu’elle se réveillerait à 8h, pour prendre sa douche à 8h15 et être en tenue de gymnastique à 8h20 et à la gym à 8h30 “pour une séance de rééducation absolument indispensable.” Bien sûr, le lendemain matin, la garde-malade réveilla la patiente à 7h30, en la grondant parce qu’elle était en retard : “On vous a bien dit de vous lever à 7h15, il est déjà 8h ! Passez vite à la douche !” A peine la malade arrivait-elle à la douche qu’on lui disait qu’il était trop tard, qu’il fallait déjeuner. Arrivée à table, elle découvrait que l’heure du déjeuner était passée et sa garde la ramenait dans sa chambre en lui expliquant que par sa faute et sa négligence elle avait manqué la séance de rééducation qui était si importante.”
De même : “La garde demandait à la malade si elle aimerait pour le petit-déjeuner du lendemain des oeufs au bacon avec du café et du pain grillé. Ravie, la malade faisait oui de la tête. Le lendemain, arrivant à table, elle voyait sur son assiette un navet cru et dans sa tasse de l’eau claire. Devant sa grimace, la garde-malade lui disait : “Mangez vite votre brioche et votre confiture !” Et ainsi de suite tous les jours à toutes les heures, vexations et frustrations se succédaient à un rythme accéléré et de manière de plus en plus révoltante. Jusqu’au jour où la malade, excédée, éclata : “I don’t care!”
Il avait fallu deux semaines pour arracher ces premiers mots.
Dès lors, le contact étant établi, le docteur Erickson, utilisant l’hypnose pour accélérer sa psychothérapie, réapprit à parler à la malade en l’espace de six mois (…) Par la suite, quelques séances d’hypnose convenablement échelonnées lui permirent de conserver parfaitement l’usage de la parole.
Conjuguant leurs effets, l’hypnose et une psychothérapie habille avaient réussi là où aucun traitement n’avait pu le faire.”
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Ainsi se termine ce bel et long article de présentation de l’Hypnose, qui plus est en français et dans une revue de vulgarisation scientifique.
J’espère qu’il vous aura permis de prendre la mesure de ce qu’était l’Hypnose avant Erickson, de pointer la manière unique d’Erickson de travailler avec les patients, et ainsi mieux faire la différence avec la Nouvelle Hypnose, née 20 ans plus tard, après la mort d’Erickson, et qui représente aujourd’hui l’hypnothérapie la plus pratiquée.