Du nom du psychiatre américain Milton H. Erickson (1901-1980), l’Hypnose Ericksonienne actuelle est multiforme, parfois douce et accompagnante, parfois autoritaire comme Erickson savait l’être. On décrit cette forme d’hypnose comme “artfully vague” (vague, floue et rusée, malicieuse… on dirait “stratégique”) et “naturaliste” ou “utilisationnelle”, dans le sens où l’on utilise ce que la personne présente, physiquement ou psychologiquement, pour l’induction hypnotique comme pour la thérapie elle-même.
L’Hypnose Ericksonienne s’appuie sur les techniques de l’Hypnose Classique et y ajoute de nombreuses astuces de langage. Elle est donc plus longue à apprendre et à maîtriser. Cette différence de technicité permet d’utiliser l’Hypnose avec 100% des personnes, ce qui n’est pas forcément possible en Hypnose Classique où l’on ne cache rien, donc si la personne veut “résister”, ne pas se laisser faire ou ne pas faire ce qu’on lui demande : elle le peut, ce qui n’est pas forcément le cas en Hypnose Ericksonienne si l’hypnothérapeute est assez rusé ou astucieux !
L’Hypnose Ericksonienne a un caractère essentiellement thérapeutique. Elle n’est pas spectaculaire (les artistes ne l’utilisent pas directement en spectacle)… Les inductions utilisées sont faites soit de manière “formelle” (on sait que l’hypnothérapeute procède à l’induction) soit en “hypnose conversationnelle” (la structure de l’induction est la même, mais intégrée à la conversation ordinaire, souvent en questionnement). Les deux façons de procéder amènent la personne à un état modifié de conscience similaire.
S’il n’y a pas d’état d’hypnose reconnaissable, il s’agit de “communication hypnotique” (pas d’hypnose, mais utilisation des techniques de langage) comme en publicité ou en politique… On ne fait pas de “communication hypnotique” en hypnothérapie (du moins, pas que cela).
Le langage de l’Hypnose Ericksonienne utilise souvent la confusion (afin de saturer les perceptions conscientes et d’ouvrir la communication vers l’Inconscient) ainsi que l’humour, les suggestions indirectes (camouflées) et tout un patchwork d’outils de communication hypnotique destinés à impacter la personne au niveau profond, donc sans qu’elle ne le sache (Inconscient). Une fois que l’état hypnotique est établi chez la personne, un observateur non-averti pourrait se demander comment on en est arrivé là ! Exemple des analgésies hypnotiques que l’on peut installer très rapidement (quelques dizaines de seconde ou moins).
Les inductions faites en conditions réelles de psychothérapie sont ainsi très “étranges” pour le novice, car elles peuvent devenir invisibles (cas des inductions “conversationnelles”). En apparence, il n’y a alors jamais eu d’induction hypnotique… Mais la personne présentera bien sûr les “signes de transe” qui permettent de confirmer qu’elle est bien en état d’hypnose : ce n’est pas juste “une discussion”, sinon on ne parlerait pas d’hypnose ! Tous les phénomènes de l’hypnose peuvent être produits.
Il est donc impossible de donner un “modèle” valable d’induction hypnotique éricksonienne car il n’en existe pas de forme toute faite – alors qu’il existe de nombreux protocoles, sur lesquels on peut broder, en Hypnose Classique ou en Nouvelle Hypnose.
Tout est improvisé pour la personne qui se présente pour l’expérience. Seul le langage est reconnaissable par sa technicité. Et chaque induction, bien spéciale, ne sera de toute évidence plus jamais réutilisée par l’hypnothérapeute.
Autre souci : comme tout thérapeute, la pratique de Milton Erickson a changé tout au long de sa vie… Pendant longtemps, Erickson pratiquait ce que nous appelons de l’Hypnose Classique (cf. ci-dessus), puis vers la la fin de sa vie, il utilisait une étrange manière de parler, pleine de sous-entendus, de répétitions, etc. ce qui a marqué les hypnothérapeutes actuels. A tel point que, lorsqu’un hypnothérapeute utilise de manière caricaturale les techniques de langage d’Erickson de cette époque, les américains disent : “Vous faites du vieil Erickson” – par opposition avec la technique plus classique qu’il a utilisé toute sa vie.
Voici donc quelques exemples d’induction hypnotique éricksoniennes, selon l’âge d’Erickson.
1923, induction par création d’un phénomène hypnotique :
« Je veux que vous vous mettiez à l’aise sur votre chaise et que vous vous détendiez. Maintenant que vous êtes assis, posez vos deux mains à plat sur vos cuisses. Exactement comme cela. Vous allez surveiller vos mains, et vous remarquerez que vous pouvez les observer attentivement.
Ce que vous allez faire, c’est vous détendre. Vous remarquerez alors que certaines choses se produisent au cours de votre relaxation. Elles se sont toujours produites pendant que vous vous détendiez, mais vous ne les avez pas si bien remarquées auparavant. je vais vous les signaler. je voudrais que vous vous concentriez sur toutes les sensations et impressions que vous ressentirez dans vos mains, quelles qu’elles soient. Peut-être sentirez-vous la lourdeur de votre main posée sur votre cuisse, ou aurez-vous là sensation d’une pression. Peut-être sentirez-vous l’étoffe de vos pantalons contre la paume de votre main, ou la chaleur de votre main sur votre cuisse. Les sensations que vous éprouverez, je veux que vous les observiez. Peut-être ressentirez-vous une sorte de démangeaison. Peu importe les sensations que vous éprouverez, je veux que vous les observiez. Regardez toujours votre main, et vous remarquerez comme elle est tranquille, comme elle reste dans la même position. Il y a des mouvements en elle, mais ils ne sont pas encore perceptibles. je veux que vous gardiez les yeux sur votre main. Votre attention peut se détourner de la main, mais elle reviendra toujours sur la main, et vous gardez les yeux fixés sur la main et vous vous demandez quand les mouvements qui se trouvent en elle vont devenir visibles.
Il sera intéressant de voir lequel de vos doigts va bouger le premier. Ce sera peut-être le majeur, ou l’index, ou l’annulaire, ou l’auriculaire, ou le pouce. L’un de vos doigts va tressaillir ou bouger. Vous ne savez pas exactement quand, ni à quelle main. Regardez toujours bien et vous allez remarquer d’a bord un léger tressaillement, peut-être à la main droite. Tenez, le pouce tressaille et bouge. Au début du mouvement, vous remarquerez une chose intéressante. Les espaces compris entre les doigts s’élargissent très lentement, les doigts s’écartent très lentement, et vous noterez que les espaces s’élargissent de plus en plus. Ils vont s’écarter lentement ; les doigts s’écartent de plus en plus, de plus en plus, de plus en plus, exactement comme ça.
Tandis que les doigts s’écarteront, vous remarquerez que bientôt les doigts voudront se dresser en formant un arc au-dessus de la cuisse, comme s’ils voulaient se lever de plus en plus haut (l’index du patient commence à se dresser légèrement).
Remarquez comme l’index se lève. En même temps, les autres doigts veulent le suivre, les voilà qui se dressent lentement (les autres doigts commencent à se lever).
Pendant que les doigts se lèveront, vous allez ressentir une impression de légèreté dans la main, une sensation de légèreté, d’autant plus que les doigts se dressent en arc, et toute la main va se soulever et s’élever lentement, comme si c’était une plume, comme lorsqu’un ballon monte en l’air, monte, monte, en l’air, en l’air, en l’air, s’élève de plus en plus haut, de plus en plus haut, la main devient très légère (la main commence à se lever). Quand vous regardez votre main se lever, vous remarquerez que le bras monte, monte en l’air, un peu plus haut, plus haut, plus haut, encore, encore, encore. (Le bras s’est levé d’environ 10 centimètres au-dessus de la cuisse et le patient le regarde fixement.) Regardez toujours la main et le bras qui se dressent et, pendant ce temps, vous ne tarderez pas à sentir combien vos yeux sont devenus somnolents et fatigués. Tandis que votre bras continue à se lever, vous vous sentirez fatigué, détendu, et vous aurez envie de dormir, une grande envie de dormir. Vos yeux se feront lourds et peut-être que vos paupières voudront se fermer. Et pendant que votre bras se lèvera de plus en plus haut, vous voudrez vous sentir de plus en plus détendu, vous aurez de plus en plus sommeil, et vous voudrez éprouver un sentiment de paix et de détente en fermant vos yeux et en vous endormant.
Votre bras se lève, encore, encore, et vous devenez très somnolent ; vos paupières se font lourdes, votre respiration devient lente et régulière. Respirez profondément – inspirez et expirez. » (Le patient tient le bras tendu droit devant lui, ses yeux clignent, et sa respiration est profonde et régulière.)
1945, double induction réalisée par Milton Erickson et Jerome Fink (ils parlent alternativement) :
« Endormez-vous profondément (go sound asleep). Profondément (deep down), profondément endormie (sound asleep). Continuez de dormir. Vous pouvez même fermer les yeux et aller plus profondément, encore plus profondément (deeper, deeper). Continuez de dormir profondément (sleeping deeply) et dormez profondément (and sleep soundly), très profondément, très profondément et très profondément (very soundly, very deeply and very soundly). Pour vous permettre de vous endormir même plus profondément encore, vous devez bloquer (block out)tout sauf les voix du Dr Erickson et moi-même et vous. Allez plus profondément, progressivement plus profondément endormie. Continuez de dormir profondément, profondément (deeply, soundly). Facilement, pro- fondément, profondément endormie (easily, deeply, soundly asleep). Allez même plus profond encore, plus profond, plus profond et protégez ce sommeil. Dormez simplement à votre façon, de manière à ce que vous puissiez (so that you can) accomplir tout ce que vous voulez accomplir. Et dormez paisiblement, dormez en toute confiance, très relaxée. Profondément, profondément endormie (deeply soundly asleep). Stabilisez ce sommeil. Continuez de dormir (continue to sleep), plus profondément et encore plus profondément.
Et continuez de dormir (keeping to sleep) très profondément. Très profondément, profondément endormie. Nous allons écarter ce stylo afin que vous puissiez (so you can) dormir même encore plus profondément et vous sentir plus confortable (feel more comfortable). Et nous allons écarter cette feuille afin que vous puissiez même dormir plus profondément. Et vous devez avoir une raison à vous endormir. Et vous allez répondre à cette raison d’une manière confortable. Et vous allez réellement dormir profondément afin que vous puissiez entendre seulement le Dr Fink et moi. Avec une vague compréhension que tout cela est bien et va continuer d’être bien. »
1958, induction hypnotique de régression en âge (démonstration filmée) :
« …vous vous sentez aller en transe maintenant. Et je voudrais que vous vous sentiez dans une position différente, dans une position différente dans cette pièce que celle dans laquelle vous êtes maintenant. Et fermez les yeux, et dormez profondément, et sentez-vous dans une position différente dans cette pièce, comme si vous étiez assis de façon quelque peu différente. Et Gregory (Bateson) est toujours là-bas, en train d’actionner cela (la caméra), et je voudrais que vous vous sentiez aller de plus en plus profondément en transe. Je me demande ce que vous auriez envie de faire dans cet état de transe. Vous faisiez de la recherche, je crois, sur les primates.
Patient : Hmm hmm.
Erickson : Et je voudrais que vous pensiez à cela, et ensuite je voudrais que vous vous demandiez quel autre sujet pourrait se présenter, et je me demande si vous auriez envie de regarder pas là, par là. Et je me demande quelle visualisation vous pourriez obtenir en regardant par là. Je me demande si vous pourriez voir un film ou une sorte d’écran.
Patient : Je peux voir un écran, là-bas.
Erickson : Vous pouvez voir un écran. J’aimerais que vous voyiez une bande de statistiques sur cet écran, et j’aimerais que vous vous demandiez ce qu’elles représentent. Elles n’ont probablement pas d’intérêt particulier, et ensuite j’aimerais que vous voyiez quelque chose derrière ces statistiques. Quelque chose d’intéressant ; quelque chose d’agréable. C’est cela. Et commencez à voir quelque chose d’agréable et d’intéressant. Très agréable et très intéressant, qui implique du mouvement et de l’activité. C’est cela. Du mouvement et de l’activité – lesquels se transforment en quelque chose d’autre qui est moins plaisant, un peu désagréable. Et cela continue et je voudrais que vous me disiez quelles sensations ce mouvement vous donne. Qu’est ce que ce mouvement vous semble être ? »
(début du travail thérapeutique)
1961, induction de transe profonde (en démonstration publique)
« Maintenant, écoutez-moi … Vous pouvez me regarder. Vous avez été dans un état de transe avant et vous le savez. Vous êtes un excellent sujet. Je vais vous suggérer quelque chose, pour vous. Vous pouvez dormir très facilement, aller dans la transe juste en fixant votre attention. Je pense que la meilleure façon pour vous d’apprendre à le faire et de le démontrer pour le public est la suivante :
Comme vous vous tenez là, je vais compter de un à vingt. Je peux compter de un à vingt par un ou deux par deux, par quatre, cinq, ou en dizaines. Au moment où je compterai vingt, vous serez endormi. Quand je serai arrivé à cinq, vous serez à un quart du sommeil. Quand j’arriverai à dix, vous serez à mi-chemin endormi. Quand j’arriverai à quinze, vous serez au trois-quarts du chemin endormi. Et quand j’atteindrai vingt, vous serez pleinement endormi. Vous allez prendre une profonde respiration et aller ainsi, profondément endormi (sound asleep). Allez-vous vous asseoir, s’il vous plaît ?
Maintenant, regardez le public et soyez conscients d’eux, parce que je vais commencer à compter. 1, 2, 3, 4. 5, 6, 7, 8, 10 – à moitié endormi – 11, 12, 13, 14, 15, – et trois-quarts endormi – 16, 17, 18, 19, 20. Prenez un respiration profonde et entrez profond (go deep), profondément endormi (sound asleep), de façon profonde (way deep), un profond sommeil (sound asleep),profond et profond sommeil. Continuez à dormir et profitez-en vraiment.
Je veux que vous dormiez ce qui semble être un très, très long temps, et vous vous sentirez reposé et confortable, comme si vous aviez dormi pendant huit heures, et après je vous réveillerai…. »
1976, induction conversationnelle (exemple donné dans son cours)
« Quelle sorte de transe voulez-vous ?… Combien de temps cela va-t-il vous prendre pour y entrer ?… Comment saurez-vous que vous êtes en train de commencer ?… Maintenant, pensez-vous vraiment que vous êtes encore complètement éveillé ?
Dans quelle transe sentez-vous que vous êtes déjà ?… En combien de temps pensez-vous qu’elle va s’approfondir ?… Vous me ferez savoir quand elle sera assez profonde, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce que vous aimeriez faire dans cette transe pendant qu’elle s’approfondit ?… Ou préférez-vous que ce soit une surprise ?… Bientôt ou un peu plus tard ?
Est-ce que vous laisserez votre main bouger quand elle sera chaude ?… Et vous ne savez pas combien d’engourdissement vous aimerez garder après votre réveil, n’est-ce pas ? »
L’hypnothérapeute repère les réactions de l’Inconscient et les augmente alors par ratification (il les fait remarquer à haute voix ou bien il les produit lui-même, en miroir), jusqu’à ce que la personne ferme les yeux.
« Asseyez-vous, je vous en prie… » (début du Yes Set).
L’hypnothérapeute se met en synchro avec la personne.
Présuppositions à propos d’états de transe précédents, suggestions subliminales et saupoudrage afin de réveiller les états de transe commune quotidienne de la personne. Par exemple :
« Combien de temps cela vous prend-il habituellement pour entrer dans une transe confortablement profonde ?… Peut-être qu’aujourd’hui vous pourrez entrer en transe plus rapidement que d’habitude… car, bien sûr, il est important de ne pas entrer en transe trop rapidement, seulement à votre rythme… de sorte que vous puissiez vraiment apprécier cette sensation confortable de détente profonde. »
L’hypnothérapeute observe le visage et le corps de la personne, à la recherche des “signes indicateurs de transe” (calibration et ratification).
Une fois les premiers signes de transe, l’hypnothérapeute soulève le bras de la personne et le place en catalepsie (confusion kinesthésique). En même temps, il met son index devant les yeux de la personne et dit : « Laissez-moi prendre ce bras… et laissez-le devenir plus lourd et plus relaxé… et fixez juste mon doigt… car quand je touche là… les yeux se ferment et les muscles se détendent tranquillement… et vous entrez en transe plus profondément encore. »
Le bras devient lourd de relaxation. L’hypnothérapeute donne des suggestions de bien-être.
Quand la transe s’est approfondie, l’hypnothérapeute appuie son index sur le front de la personne, doucement mais fermement, et repousse la tête vers l’arrière. Il lâche alors en même temps le bras de la personne et, si ses yeux ne se sont pas encore fermés, il les ferme doucement avec ses doigts.
La transe devient plus profonde (début de la phase de travail)…
Conclusion
Les inductions hypnotiques de Milton Erickson étaient donc très proches de celles de l’Hypnose Classique. Cette dernière utilisait déjà les suggestions indirectes et les métaphores. L’apport d’Erickson était de manier les phénomènes hypnotiques avec ruse, en fin connaisseur de la psychologie de la personne et des réactions qu’il pourrait obtenir d’elle.
On dit qu’Erickson n’utilisait l’hypnose que pour 1 patient sur 5. C’est ainsi que sa pratique principale devint “stratégique”, hors hypnose, notamment grâce aux prescriptions de tâche (presque 40% de ses séances en comportent)… [Formation en Hypnose Ericksonienne à l’IFHE]
Lire aussi :
– L’Hypnose Classique
– La Nouvelle Hypnose
– L’Hypnose Humaniste