Voici pour vous des chiffres inédits, jusqu’à maintenant seulement donnés durant la formation de “Praticien en Hypnose Ericksonienne” de l’IFHE.
Il y a quelques années, je devais être “entre deux livres” et pas habitué à rester inactif, donc je me suis mis en devoir de rassembler toutes les thérapies d’Erickson, afin de savoir (enfin !) ce qu’Erickson faisait vraiment.
Je me doutais bien que j’allais y penser des mois… et ce fut le cas !!… Non seulement pour rassembler les cas, dans toutes les sources possibles, y compris auprès de thérapeutes non-publiés, mais aussi pour en tirer des statistiques, tant les cas regroupent souvent l’utilisation de plusieurs techniques.
On cite toujours des chiffres énormes concernant Erickson (30.000 thérapies ? ou plutôt 30.000 séances, ce qui est plus vraisemblable) mais ce sont toujours les mêmes anecdotes qui reviennent. Sûrement parce que toutes ne sont pas mémorables ou pédagogiques…
Quoi qu’il en soit, je voulais en avoir le cœur net, et aussi avoir une idée plus juste des techniques qu’il utilisait, entre hypnose, langage d’influence, prescriptions de tâches, etc.
Si, en plus de ces chiffres, vous connaissez le Milton-modèle 4, donc les stratégies utilisées par Erickson en terme de processus psychologiques (souvent liés à ceux que l’on connait aussi en psychologie sociale), alors vous aurez toutes les clés pour percer les mystères du fameux “sage de Phoenix” !
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“On m’a accusé de manipuler les patients, ce à quoi je réponds :
toute mère manipule son bébé, si elle veut qu’il vive
(elle lui apprend même à pouvoir entrer dans le langage de la manipulation).
Chaque fois que vous allez dans un magasin, vous manipulez l’employé pour qu’il vous fasse un prix. Et quand vous allez au restaurant, vous manipulez le serveur. Le professeur à l’école vous manipule pour vous apprendre à lire et à écrire.
Bref, la vie n’est qu’une gigantesque manipulation”
M.H. Erickson
Étude des cas connus de Milton Erickson
William O’Hanlon avait déjà effectué une grande partie du travail en recensant dans son livre « Thérapies hors du commun » l’ensemble des cas connus d’Erickson. Il suffisait juste de vérifier qu’il n’en ait pas oublié – et pour cela, revoir la bibliographie entière d’Erickson !
Ce dernier avait passé 20 ans à étudier l’hypnose de manière expérimentale, en laboratoire donc, avant que sa pratique privée ne commence, assez tard, en 1949, alors qu’il était épuisé par la maladie. Tout comme Freud à son époque, Erickson n’a ainsi pas reçu beaucoup de “vrais patients” (en-dehors des cobayes volontaires de son laboratoire hospitalier).
Il a été possible de retrouver 316 cas, en tout et pour tout, recueillis à la fois dans les articles publiés par Erickson (« Collected papers »), dans la littérature spécialisée et dans les communications personnelles faites par Erickson à différents auteurs qui en ont témoigné.
C’est peu, si on considère que cela représente environ 6 mois de travail pour un hypnothérapeute ordinaire, mais cela nous montrera tout de même quelles étaient les méthodes favorites d’Erickson.
A ce propos, il faut signaler que Milton Erickson racontait souvent les mêmes cas de façon très différente. Les différences ne tenaient parfois pas simplement à des détails, mais à toute la structure de la thérapie (procédures et résultat). Deux cas en apparence dissemblables étaient en réalité le même… Les témoignages recueillis après le décès d’Erickson ont mis ce point en évidence.
J’ai donc classé à part les cas les plus souvent « enjolivés », ceux qui étaient par trop invraisemblables (Erickson avait le goût de l’exagération et, après s’être auto-proclamé “Wizard” avait tendance à transformer un cas simple en “miracle”) et ceux que j’ai pu vérifier comme purement inventés (peut-être en guise de métaphore thérapeutique ou pour illustrer des techniques, durant une formation ?).
Aujourd’hui, en plus des témoignages des patients eux-mêmes, on a Internet et ses bases de données, ses sites historiques, donc ce qui “passait” du temps d’Erickson – comme un sportif imaginaire, soi-disant plusieurs fois champion – n’est désormais plus crédible (le “champion” n’ayant, en réalité, jamais existé). Cas également de cette infirmière soi-disant partie faire le tour du monde après sa démonstration d’hypnose avec Erickson – alors qu’en fait la dame en question, si elle fut bien cobaye pour l’expérience, n’en a rien tiré de particulier et a poursuivi sa vie ordinaire (témoignage conjoint du directeur de l’hôpital où avait eu lieu la démonstration d’Erickson). Bref, il y a de quoi faire un peu de tri dans les récits d’Erickson !
J’ai aussi classé séparément les cas peu crédibles ou simplistes, qui étaient peut-être aussi les bases d’anecdotes thérapeutiques dont Erickson était friand. Mais, on sait bien que le thérapeute peut ne pas avoir vécu précisément l’anecdote qui conviendrait en métaphore pour la personne – il est donc admis d’inventer ces soi-disant “souvenirs”, racontés par le thérapeute comme très réels.
Il faut éviter de confondre ces techniques thérapeutiques avec de vrais cas…
“As the years have gone by, since his death, Erickson has become an increasing living legend, as will happen with legends, an increasing amount of more or less fictitious lore began to accumulate about him”
André Weitzenhoffer, célèbre psychologue, expert en Hypnose, ami et conseiller d’Erickson
Les chiffres !
Pour comprendre une moyenne, il faut avoir une échelle de référence. Par exemple, le placebo produit environ 55% de bons résultats – parfois moins, parfois bien plus dans le cas de certains produits pour lesquels, curieusement, le placebo est plus efficace que la substance chimique ou même l’opération chirurgicale.
Comme en pharmacologie ou en médecine, on pourrait donc juger l’efficacité d’une technique psychothérapeutique au fait qu’il dépasse (ou non) l’effet produit par le placebo.
Voici ce que cela donne chez Erickson (pour les 316 cas connus) :
Succès : 219 cas, soit 69%
– Dont non-vérifiés, très enjolivés ou inventés : 16 cas, soit 5%
– Dont simplistes, peu crédibles : 22 cas, soit 7%
Succès purs (hors peu crédibles et enjolivés) : 181 cas, soit 57%
Voilà qui démontre que la technique d’Erickson ne tenait pas à un simple effet placebo.
Ne soyez pas surpris du faible pourcentage de réussites. Les statistiques montrent que quelques pourcents seulement font la différence entre l’amateur et le professionnel, par exemple dans le domaine sportif, et juste quelques pourcents encore entre le professionnel et le champion reconnu… 2% semblent peu, mais font toute la différence !
Succès partiels : 49 cas, soit 15,50%
Échec: 42 cas, soit 13,50%
Hors sujet : 6 cas, soit 2%
(cas qui ne concernent pas la psychothérapie : maladies physiques, diagnostiquées et immédiatement renvoyées à l’hôpital)
Les pourcentages ne nous renseignent pas sur ce qui est fait réellement, sur le terrain. Voyons donc de plus près les techniques utilisées :
- Prescriptions : 125 cas (39,50%)
- Hypnose directe, classique : 107 cas (34%)
- Hypnose indirecte : 26 cas (8%)
- Thérapie par suggestions: 67 cas (21%)
- Thérapie ordinaire : 32 cas (10%)
Et le pourcentage de réussites et échecs par technique :
Prescriptions & Stratégie
– Succès pur : 64%
– Enjolivés: 2%
– Peu crédibles : 9%
– Succès partiel : 14,50%
– Échecs : 10,50%
– Hors sujet : 0%
Hypnose directe
– Succès pur : 69%
– Enjolivés : 10,50%
– Peu crédibles : 2%
– Succès partiel : 12%
– Échecs : 6,50%
– Hors sujet : 0%
Hypnose indirecte
Succès pur : 82%
Enjolivés : 0%
Peu crédibles 3,50%
Succès partiel : 11%
Échecs : 3,50%
Hors sujet : 0%
Suggestions/conversation
– Succès pur : 71,5%
– Enjolivés : 1,50%
– Peu crédibles 6%
– Succès partiel : 19,50%
– Échecs : 1,50%
– Hors sujet : 0%
Thérapie ordinaire
– Succès pur : 25%
– Enjolivés : 3%
– Peu crédibles : 3%
– Succès partiel : 36%
– Échecs : 18%
– Hors sujet : 15%
Sont classés comme « succès partiel » les thérapies qui ont permis à la personne de se sentir mieux, mais sans qu’elles soient guéries pour autant. De même, sont parfois classés par Erickson comme « succès » de simples inductions hypnotiques… (on n’a pas la suite du cas, donc l’issue de la thérapie elle-même).
Par exemple, Erickson met en transe un sportif en suggérant durant l’induction hypnotique qu’une main va se mettre en lévitation avant l’autre : reste à savoir laquelle ! Il utilise l’esprit de compétition du sportif pour améliorer l’induction hypnotique – ce qui vaut un « succès » à ce cas, qui n’est pas une thérapie, seulement une induction – qui plus est assez banale (mais peut-être pas à l’époque ?).
Vous aurez peut-être remarqué que le total des cas dépasse 316, tout comme les pourcentages dépassent les 100%, ceci parce qu’Erickson utilisait souvent plusieurs techniques en même temps pour un même cas. Le total n’est donc pas à prendre en compte.
Voici donc la répartition de l’utilisation des techniques, qui vous donne autant d’exemples de procédures thérapeutiques :
• Prescriptions et hypnose directe : 18 cas
(14,5% des prescriptions ; 17% des séances d’hypnose directe)
• Prescriptions et hypnose indirecte : 3 cas
(2,5% des prescriptions ; 11,5% des séances d’hypnose indirecte)
• Prescriptions et suggestions : 11 cas
(9% des prescriptions ; 16,5% des séances avec suggestions)
• Hypnose directe et suggestions : 9 cas
(9% des hypnoses directes ; 16,5% des séances de suggestions)
• Hypnose directe et hypnose indirecte : 2 cas
(2% des hypnoses directes ; 7,5% des séances indirectes)
• Hypnose directe et thérapie : 1 cas
(moins de 1% des séances d’hypnose directe ; 3% des thérapies)
• Hypnose indirecte et suggestions : 2 cas
(7,5% des hypnoses indirectes ; 3% des séances de suggestions)
On voit que Milton Erickson utilisait principalement la prescription de tâches (86 succès), ainsi que l’hypnose directe ordinaire, « classique » mais de manière stratégique (87 succès). C’était là où il était le plus fort. N’oubliez pas que les premiers hypnotiseurs classique, James Braid lui-même, créateur du terme “hypnose”, étaient déjà très rusés dans leur utilisation de l’Hypnose, y compris des suggestions indirectes, dès 1841…
L’Hypnose dite “indirecte” est paradoxalement ce qu’Erickson pratiquait le moins… même si c’est cette facette que l’on a retenu de lui. C’est d’ailleurs ici qu’Erickson décrochait son plus fort taux de réussite (82% pour 26 cas).
Outre la thérapie par la parole, qui n’était vraiment pas le fort d’Erickson (18% d’échec, 36% de succès partiels ; tous les cas hors sujet sont dans cette catégorie), ce sont les prescriptions qui échouent le plus souvent : 14 échecs, contre 7 en hypnose directe et 1 seul en hypnose indirecte.
Alors, il faut noter qu’une induction se voit qualifiée de « indirecte » alors que, selon nos critères modernes, elle ne l’est peut-être pas du tout. Il s’agit plus souvent d’une astuce d’induction que d’une réelle stratégie indirecte camouflée…
Pour vous donner une idée, voici quelques exemples de cas d’hypnose classés « hypnose indirecte » chez Erickson. Les numéros correspondent à l’ordre des cas du livre « Thérapies hors du commun ». Il y a des succès purs et partiels :
3- Ongles lit un article sur les inductions pour sujets résistants
70- Douleur saupoudrage (cas de Joe le fleuriste)
75- Douleur induction par sujet de paille
90- Migraines induction par compétition entre les 2 mains (lévitation)
102- Enurésie suggestion post-hypnotique d’être inquiet d’avoir un lit sec
108- Enurésie suggestion paradoxale, continuer le symptôme + tâches
110- Enurésie saupoudrage
177- Phobie présuppose qu’il a “fait quelque chose pendant la séance”
(+ suggestion de passer en revue les moments de la vie en rapport avec la phobie)
187- Bégaiement retourner agressivité contre MHE + accord garder la haine
200- Gaucher refusant d’écrire de la main gauche : confusion gauche-droite
301- Blocage suggestion inversée : rendre le patient hypersensible pour,
au contraire, arriver à une anesthésie
304- Blocage anesthésie par provocation (petites nattes pubiennes)
La thérapie d’Erickson est « rusée » (artfully vague), qu’il fasse ou non de l’Hypnose. On sent que Milton Erickson comprenait comment les personnes créent et entretiennent leurs symptômes, et il avait l’art de mettre des bâtons dans les roues à ces mécanismes inconscients. C’était un « mécanicien de l’Inconscient » de génie !
Par contre, il n’est pas flagrant qu’il ait voulu être « indirect » consciemment. En tant que thérapeute fin connaisseur des mécanismes psychologiques des gens, il faisait simplement en sorte de placer ce dont il avait besoin dans la tête de ses patients, sans se faire prendre… C’est ce que l’on a qualifié de « indirect » et que l’on a voulu appliquer aussi à son Hypnose qui, elle, ne l’était pas tant que ça, selon nos critères modernes.
Erickson nous a, plus ou moins volontairement, montré la voie pour créer les techniques que nous utilisons aujourd’hui en Nouvelle Hypnose. Prenez l’exemple du saupoudrage d’Erickson qui n’avait rien de « subliminal » avant que j’introduise les techniques actuelles dans les année 1990 (lire “Hypnose“).
Même chose avec les métaphores, qui étaient chez Erickson de simples anecdotes, susceptibles de semer des graines de changement chez la personne, mais pas de là à la soigner complètement – comparé à la technique que j’ai développé également dans les années 90, qui va jusqu’à 7 niveaux simultanés (lire “Métaphores“).
Conclusion
La marque d’Erickson, ce qui a fait originalité et qui lui appartenait vraiment, c’étaient ses idées – qui ont donné naissance à la thérapie brève moderne – et sa manière d’être avec les patients, pour arriver à ses fins (thérapeutiques) sans leur participation consciente.
Il utilisait majoritairement les techniques d’influence (Milton-modèle 4) et les prescriptions (thérapie stratégique).
Ainsi, l’hypnothérapeute qui cherche à pratiquer au plus proche de ce que faisait Erickson doit s’intéresser à la thérapie stratégique (Palo Alto, etc.), travailler son langage d’influence et renforcer ses capacités en Hypnose Classique.
“Je suis un drôle d’oiseau parmi tant d’autres sur le chemin de la vie” – Milton Erickson
. Formations en Hypnose Ericksonienne & Nouvelle Hypnose, à l’IFHE